Un petit papier pour raconter mes péripéties judiciaires avec le Crédit Foncier. Le but n’est pas ici de me faire passer pour une victime mais de donner quelques réflexions personnelles sur cette affaire et d’apporter un témoignage sur cette procédure.
Je ne vais pas revenir en détail sur le principe trompeur des prêts à taux révisable qui ont été commercialisés par le Crédit Foncier. C’est assez complexe et vous trouverez des infos sur cBanque (page alerte sur les crédits révisables). En janvier 2010, la banque a reconnu le caractère trompeur de cette commercialisation.
Bref, tout commence en février 2007, sur le forum de cBanque. Plusieurs personnes interviennent pour se plaindre du fonctionnement particulier de leur crédit, un fonctionnement bien différent de celui annoncé. A l’époque, j’ai même eu du mal à croire ce que racontaient les personnes.
La conversation qui a mis le feu aux poudres est sobrement intitulé « Litige avec Banque concernant prêt immobilier « non capé » ». Elle comporte aujourd’hui plus de 9000 réponses et elle a été consultée plus d’un million de fois.
Début 2007, bien peu de monde s’intéressait à ce problème. Même les associations de consommateurs n’ont pas tout de suite compris l’ampleur du problème.
Il faudra attendre le mois d’octobre 2007 pour que l’affaire fasse du bruit et que des témoignages soient médiatisés. Les associations de consommateur prennent contact sur le forum avec certaines victimes. Discrètement, pour l’UFC Que Choisir qui sortira par la suite un article dans son magazine et portera l’affaire en justice. L’Afub, elle, passe plusieurs annonces sur le forum pour inviter à la rejoindre. Même la DGCCRF indiquera dans certains de ses courriers que le forum cbanque regroupe des souscripteurs du même contrat.
Sur le forum, un espace privé est créé pour faciliter la communication entre les personnes. Puis, le Collectif Action (auquel je ne participe pas) sera monté avec un site internet privé. Le collectif mènera par la suite de nombreuses actions, manifestations et communications.
Début 2008, ca chauffe. Quand on tape « crédit foncier » dans le moteur de recherche Google, cBanque arrive en deuxième ou troisième résultat, suivant les jours. Et en général, les sociétés n’aiment pas trop ce genre de situation. Nous savons que le forum est surveillé par la banque et il y a une peur d’avoir de la manipulation.
Mais je dois reconnaitre, qu’à aucun moment, le Crédit Foncier n’a essayé de faire pression sur le site pour que des propos soient effacés.
18 août 2008. Je reçois le coup de fil, puis un fax, d’un Officier de Police Judiciaire. Il me demande, pour une affaire de diffamation publique, de lui désigner le directeur de la publication de cbanque (c’est moi). J’essaye d’en savoir un peu plus : « ce n’est pas très grave. C’est un dénommé Gaston qui a posté 3 messages sur votre forum. ». (nb : le pseudo est modifié)
A ce stade, je sais seulement qu’une procédure est engagée et que mon nom y apparait. Un peu surpris, quand même, qu’on me demande le nom du directeur de la publication, alors qu’il apparait dans les mentions légales du site. Sans doute, ont-ils eu besoin que le propriétaire du site (c’est à dire moi) confirme le nom du directeur de publication (également moi) ?
J’examine les conversations de Gaston pour essayer de trouver le problème. Plus d’une centaine, j’en efface certaines (par suppression logique, pas physique). Rien d’évident quand même.
27 octobre 2008. Je suis convoqué pour une première comparution devant le juge d’instruction. C’est à Paris.
J’ai pris un avocat parisien, Alexis Guedg, spécialisé dans ce genre d’affaire. Il a récupéré le dossier et la plainte qui a été déposée par la société Crédit Foncier de France et son directeur général, Monsieur François Blancard.
La plainte se base sur la loi de la presse. Selon elle, en tant que directeur de la publication je serais (pénalement) l’auteur des propos rédigés par Gaston, et ce dernier, seulement mon complice.
Je ne vais pas reproduire exactement les propos qui sont présumés diffamants. Mais, en prenant du recul, c’est assez drôle de décortiquer cette plainte en diffamation. De lire les arguments d’avocats sur une page complète, pour expliquer que telle ou telle expression représente de la diffamation.
Enfin, la plainte donne la clé de cette procédure. Gaston est un ancien salarié du Crédit Foncier qui a donné des informations sur le forum de ce qu’il se passait dans la banque. Ceci, grâce à des mails avec deux salariés de la banque. Du coup, une procédure disciplinaire a été engagée contre ces deux personnes. Des rumeurs disent qu’une des deux personnes a été mise à la retraite d’office, et que l’autre aurait été licenciée.
Le problème qui est posé est celui de la loyauté d’une personne envers son employeur. Ou de son ex-employeur pour Gaston. Si la banque avait voulu poursuivre tous les propos diffamants, elle aurait engagé des procédures contre plusieurs sites internet et sans doute contre plusieurs messages sur cbanque. Attention, je ne dis pas que le forum de cbanque contient énormément de propos diffamatoires et qu’on laisse les visiteurs dirent tout et n’importe quoi. Ce n’est pas le cas. Mais on peut toujours voir de la diffamation dans une expression ambiguë ou des propos ironiques.
D’ailleurs, un des messages mis en cause n’a pas été rédigé par Gaston. C’est une réponse avec citation à un autre message dont la balise « QUOTE » est incomplète. Les avocat du CFF n’ont donc pas cherché des propos diffamants mais seulement les propos diffamants tenus par Gaston.
Au tribunal
Je me retrouve donc au Tribunal de Grande Instance de Paris. Celui qu’on voit à la télé à chaque fois qu’il y a une affaire un peu médiatisée. C’est une affaire de diffamation, c’est donc du pénal. C’est là que sont instruites les affaires de meurtre, d’assassinat ou de viol. Dans les couloirs, il y a des gendarmes et des sortes de cages pour les prisonniers les plus dangereux. Ca fait bizarre.
Dans le bureau du juge, seulement deux questions me sont posées. Étiez-vous le directeur de la publication à l’époque des faits ? Avez-vous diffusé les messages incriminés ? Sur la première question, c’est bien moi. Sur la deuxième, c’est non, les messages sont automatiquement diffusés après la validation de leur auteur.
Le juge annonce ma mise en examen et qu’il n’aura pas besoin de me revoir dans le cadre de cette instruction. Mon avocat intervient pour préciser que je ne peux être l’auteur des propos (au sens de la loi) car il n’y a pas eu fixation préalable avant diffusion.
De mon coté (pensant atténué ses charges), je précise qu’un des messages n’a pas été rédigé par Gaston.
Tout la procédure dure 15 minutes. J’ai perdu une journée de travail, fait un aller-retour à Paris en train, pris un avocat. Tout ca pour deux questions et 15 minutes.
Mon avocat m’avait prévenu à l’avance. Dans une instruction pour diffamation, on ne parle pas du fonds, on se borne à identifier les auteurs. Pas question de commenter les propos litigieux ni de savoir s’ils sont véridiques ou non. Ce sera au tribunal correctionnel d’en décider.
Janvier 2009. Le juge m’informe que l’instruction est terminée.
Deuxième comparution
Février 2009. Je suis, contrairement à toute attente, convoqué une deuxième fois.
Pour moi, j’analyse la plainte comme une attaque contre Gaston. Le fait d’avoir un deuxième auteur aurait du amoindrir les charges. La justice n’est pas dans cette logique, il y a diffamation supposée et il faut en identifier les auteurs.
Deuxième difficulté, le juge doit me demander l’identification de ce posteur (appelons-le Maurice). Ordinairement, elle aurait pu m’envoyer, en tant qu’hébergeur, une réquisition judiciaire. Mais ce n’est plus possible car je suis mis en examen. Pour me parler de nouveau, le juge doit me convoquer.
Heureusement, la convocation précise cette demande et je peux me munir de toutes les informations nécessaires. Même punition que la dernière fois, une journée pour 15 minutes dans le cabinet du juge.
Avant de partir, le juge précise à mon avocat qu’il envisage de ne pas me poursuivre. Mon avocat m’expliquera ensuite qu’un juge ne dit pas ces choses à la légère et que de telles intentions sont quasi-certaines.
Juillet 2009. Le juge m’informe que l’instruction est terminée.
Octobre 2009. Le parquet du Procureur de la République rend un Réquisitoire définitif aux fins de requalification et de renvoi devant le tribunal correctionnel. En clair, il demande au juge de me renvoyer vers le tribunal en tant qu’auteur des propos litigieux, avec Gaston et Maurice, mes deux complices.
Décembre 2009. Le juge d’instruction rend son ordonnance et ne suis pas l’avis du parquet. Gaston et Maurice sont renvoyés devant le tribunal correctionnel comme auteur. Je bénéficie d’un non-lieu.
Bilan
Je peux faire un bilan. C’est une procédure stressante quand on n’est pas habitué à fréquenter les tribunaux ou les juges. Quand on ne sait pas ce qu’il va se passer. Quand on est obligé de consacrer du temps et de l’argent à sa défense. Tout ca, alors qu’aucune responsabilité n’est retenue.
C’est une procédure qui est longue. Les propos litigieux ont été tenus en janvier 2008, la plainte déposée en avril 2008. L’ordonnance de renvoi et de non-lieu a été établie en décembre 2009. Il y a bien un délai de prescription de 3 mois, mais ce délai court entre chaque acte judiciaire. Cela peut donc durer des années.
Même si j’ai la chance que ma responsabilité soit écartée, ce n’est pas le cas pour Gaston et Maurice qui devront se présenter devant le tribunal.
Je crois qu’avec la diffamation, le plaignant a encore la possibilité de retirer sa plainte. Si ce n’est pas le cas, je regarderai en détail le verdict du tribunal. Bien que certains propos puissent quand-même être jugés comme diffamatoires, la reconnaissance de la tromperie de la banque risque d’amoindrir les charges ou pourquoi pas les inverser ?
Précisions additionnelles
6/2/2010 : J’ai oublié de préciser que Maurice est un client victime des prêts commercialisés par le CFF. Son cas est cité dans le rapport de la DGCCRF.
6/2/2010 : A aucun moment, je n’ai reçu de demande de retrait des messages litigieux de la part du CFF.
29/6/2010 : Epilogue de l’histoire : la partie civile s’est désistée le jour du procès (vendredi dernier).
Dommage de ne pas pouvoir reproduire les « propos diffamants ». Ex : « c’est tous des cons au crédit tartempion », c’est diffamant ou insultant ?
Je ne connais pas la teneur des propos tenus sur ton forum.
Par contre, j’ai constaté à maintes reprises chez mes clients (banques, assurances) des procédures totalement injustifées par des juristes zélés. Cela leur permet de justifier leurs rémunérations (insolentes).
@Jean-Edouard : c’est clairement de l’insulte. Donc pas les mêmes textes applicables. C’est aussi plus facile à détecter.
@Christophe : Un des avantages de ces procédures, c’est de permettre de mieux connaitre les textes réglementaires et de prendre de l’assurance. Cela pourrait faire l’objet d’un nouveau post. Récemment, je n’ai pas donné suite à la lettre recommandé d’un avocat qui me demandait de retirer des propos diffamants et me menacer de porter l’affaire en justice. Seulement, sa demande ne respectait pas la procédure de signalement (loi + décret) qui oblige notamment à motiver sa demande et à préciser le texte litigieux (pas simplement la page).
« Un des avantages de ces procédures, c’est de permettre de mieux connaitre les textes réglementaires et de prendre de l’assurance. »
Oui… si on veut. On ne m’enlèvera pas de l’idée qu’une inscription à une formation juridique à la fac de ta région est autrement moins stressante… et certainement moins coûteuse que tout ce que tu as vécu ces derniers temps.
En attendant, on ne peut qu’encourager les mesures préventives ; à commencer par une petite équipe de modérateurs responsables, vigilants et solidaires.
Bonjour,
Je ne sais pas si tu auras envie de répondre, mais ça t’a couté combien en gros, financièrement parlant?
A+
Ton billet résume bien ce paradoxe.
Deux ans de procédure et de stress alors qu’aucune charge n’est retenue et que finalement ton rôle se sera borné à donner le nom des auteurs des messages.
En tout cas, c’est très instructif pour tous ceux qui administrent un forum.