C’est une promesse de la campagne électorale de François Hollande : « moi, Président de la République, je doublerais le plafond du Livret A ». Une promesse qui n’a pas de sens économique. Une promesse qui accentue encore plus la différence de traitement entre une épargne bancaire sans doute trop taxée et une épargne réglementée qui bénéficie d’un régime fiscal dérogatoire.
Les campagnes électorales sont rythmées par des slogans, des petites phrases qui simplifient les problèmes et qui sont censés faire mouche dans l’esprit des électeurs. Tout le monde se rappelle du « travailler plus pour gagner plus » de Nicolas Sarkozy, cela marque les esprits.
La formule du « doublement du plafond du Livret A » est tout aussi bien trouvée. On est tout d’abord dans la défiance aux banques : le gouvernement va faire quelque chose pour protéger votre argent. C’est une mesure de gauche qui touche un placement très populaire. Mais aussi, de manière subliminale, on peut comprendre que le solde de son Livret A va devenir deux fois plus important.
Bien sûr, il n’en est rien et la publication du rapport de l’épargne réglementée en juillet dernier a donné quelques éclairages. Au 31 décembre 2011, l’encours total sur le Livret A représente la somme considérable de 206,6 milliards d’euros pour les 61,6 millions de personnes physiques (1) en possédant un. Les livrets A avec un solde supérieur au plafond (actuellement de 15.300 euros) sont peu nombreux (8,5%) mais concentrent 43,2% de l’encours. Ce qui veut dire que plus de 5 millions de Livrets A ont un solde moyen légèrement supérieur à 17.000 euros.
L’augmentation, qui ne devrait être que de 25%, devrait porter le plafond du Livret A à 19.125 euros à la mi-septembre 2012. Il ne profitera réellement qu’à ces 5 millions de titulaires dont le Livret A est déjà au plafond. Pour les masses populaires, dont les 46,6% des Livret A présentent un solde inférieur à 150 euros, cela ne changera rien. En fait, cette mesure de gauche n’est pas une mesure bénéficiant majoritairement aux classes populaires. Bizarre, non ?
L’autre argument du relèvement du plafond est le besoin de financement du logement social via la CDC. Je ne vais pas développer ce sujet, car plusieurs analystes le font mieux que moi, dans la presse. En gros, l’encours actuel n’est pas complètement utilisé, et, les coûts de refinancement sont tellement faibles actuellement qu’il n’y aucun besoin de recourir à un montage avec de l’épargne défiscalisé.
Une épargne bancaire trop taxée !
Et c’est effectivement sur la défiscalisation que le problème se pose. D’un côté, on a des placements financiers dont le taux d’imposition a légèrement baissé au fil du temps (avant 2006, il y avait par exemple un abattement fiscal sur les salaires qui n’existait pas pour les revenus financiers) et qui a le mérite d’être taxé selon le barème progressif de l’impôt sur le revenu. Mais, dans le même temps, les prélèvements sociaux ont fortement augmenté pour atteindre aujourd’hui 15,50% des intérêts. Et ce, alors même que ces prélèvements ne sont pas contributifs : ils financent la sécurité sociale sans contrepartie, ils ne permettent pas d’obtenir, par exemple, des droits à la retraite.
Augmenter le plafond du Livret A fausse ainsi de plus en plus la concurrence entre les produits d’épargne réglementés et les livrets bancaires qui sont, eux, de plus en plus fortement taxés. L’État va se priver ainsi de recettes fiscales et sociales. Mais ce sont aussi les ressources que les banques vont voir partir au détriment de leurs propres besoin de financement de l’économie.
Autre anomalie : une grosse partie des placements financiers rapportent aujourd’hui moins, voire beaucoup moins, que l’inflation. Est-ce alors normal qu’un produit comme le Livret A qui protège de l’inflation soit détaxé par rapport à ceux qui subissent l’érosion monétaire ?
Par le passé (au moins dans les années 1980-1990), il y avait un abattement fiscal sur les premiers francs de revenus financiers, ce qui avait un sens. Pourquoi finalement l’épargne ne devrait-elle pas être détaxée ou faiblement taxée dans une certaine limite ? Pourquoi une personne qui a acquitté des impôts sur ses revenus salariaux et placé quelques économies se voit taxer, l’année suivante, les faibles intérêts qu’il obtient ? Pourquoi une personne ayant réussi à épargner 200.000 euros en restant locataire se verra au final beaucoup plus taxée qu’une personne possédant une résidence principale de la même valeur ?
Accentuer encore l’attrait d’un Livret A au régime fiscal dérogatoire va aussi encourager la fraude : la double détention pour laquelle Bercy a déjà du mal à trouver une parade efficace, ou, l’utilisation abusive de Livrets A au nom de ses enfants mineurs !
Au mois de décembre, le gouvernement devrait légiférer sur l’épargne réglementée. Il serait sans doute raisonnable d’arrêter ces dérogations fiscales d’une autre époque.
(1) Les chiffres données ne concernent que les personnes physiques, les personnes morales possèdent 662.000 livrets A pour un encours 9,8 milliards d’euros.