Ces dernières semaines, j’ai pris mon courage à deux mains pour lire « Le capital au XXIe siècle » de Thomas Piketty, un économiste classé à gauche. L’occasion pour partager quelques réflexions sur notre fiscalité.
Mon courage à deux mains ? Oui, car c’est un pavé de pratiquement 1.000 pages, richement documenté avec de nombreuses références bibliographiques voire littéraires (étonnamment) et des compléments disponibles sur Internet. La seule introduction fait plus de 50 pages. Utilisé comme livre de chevet, il demande de la concentration ou c’est l’endormissement assuré !
Thomas Piketty n’est pas un inconnu. Il est le co-auteur de « Pour une révolution fiscale », un ouvrage dont semble-t-il s’était inspiré François Hollande dans sa campagne de 2012. Par la suite, cette réforme fiscale avait été oubliée. Elle vient néanmoins de réapparaitre, opportunément, à la mi-novembre 2013 : Jean-Marc Ayrault souhaite remettre à plat la fiscalité.
30.000 euros de revenus moyens
Globalement, dans la France des années 2010, chaque habitant adulte dispose d’un revenu annuel (revenu du travail et du capital, avant impôts) de 30.000 euros (soit 2.500 euros par mois). Le patrimoine moyen est de 180.000 euros, soit l’équivalent de 6 années de revenus.
Bien sûr, ces chiffres ne sont que des moyennes et leur répartition dans la population est très inégalitaire. Une partie importante de la population ne possède rien ou a même un patrimoine négatif (des dettes).
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la répartition du patrimoine est moins inégalitaire qu’il y a 100 ans. La raison est à chercher dans la première moitié du XXe siècle : le crac de 1929 et deux guerres mondiales ; la mise en place d’un impôt de solidarité nationale en 1945 (confiscation de l’enrichissement réalisé pendant la guerre et contribution jusqu’à 20% sur le patrimoine) ; puis la mise en place d’un impôt progressif sur les revenus utilisé de manière redistributive.
Alors que certains économistes craignaient, il y a plusieurs siècles, une accumulation sans aucune limite des richesses de ceux qu’on appelait les rentiers, une répartition plus égalitaire du patrimoine s’est produite, et une classe moyenne patrimoniale a éclos. L’auteur craint cependant une inversion de la tendance, et une moindre imposition du capital à l’avenir, à cause de la concurrence entre les Etats.
Paradoxalement, c’est la répartition des revenus du travail depuis les années 1980 qui devient plus inégalitaire. Et plus particulièrement aux Etats-Unis, où les 10% les mieux payés s’accaparent 35% des revenus du travail, contre seulement 25% pour les 50% les moins biens payés. Même si ce rapport n’est pas aussi dramatique en Europe et en France, on voit cette nouvelle tendance arriver. On pense notamment aux traders, mais il y a aussi et surtout une nouvelle génération de très hauts cadres d’entreprises dont les revenus salariaux explosent.
Ce qui m’a particulièrement frappé dans la « Bible » de Piketty, ce sont les écarts de revenus entre le dernier décile (10% les plus riches), le dernier centile (1%) ou le dernier millile (0,1%).
Pour dire les choses autrement, il y a plus de différences de revenus entre une personne qui gagne 10 millions d’euros par an et une autre 100.000 euros, qu’entre une personne à 100.000 et l’autre à 20.000 euros. Pourtant, notre système d’impôt sur le revenu considère le seuil des 75.000 euros (150.000 euros depuis 2013) comme le niveau à partir duquel il faut taxer les revenus de façon maximale. Alors qu’il serait raisonnable d’avoir des tranches d’imposition supérieures à un million d’euros puis dix millions… Même chose pour l’impôt sur la fortune (contestable, par ailleurs) où la dernière tranche est à dix millions. Pourquoi n’y-a-t-il pas des tranches à 100 millions puis 1 milliard ?
Cela aurait évité aussi la fameuse taxe à 75%. Une taxe dogmatique qui ne s’appliquerait curieusement (et surtout prudemment) qu’aux revenus du Travail. Il aurait été plus malin et beaucoup plus simple d’ajouter une nouvelle tranche supérieure, même provisoire puisqu’il s’agissait de ça !
Entendons-nous bien : je ne demande pas à ce que les taux d’imposition augmentent – ils sont déjà sans doute trop élevés – mais qu’ils soient plus progressifs. Malheureusement, nous avons dépassé le seuil d’acceptabilité de ces impôts et il faudra revoir le financement de notre système social. Sur ce plan, j’en appelle d’abord à un « new deal social » tenant compte de la nouvelle donne économique avant tout changement fiscal.
C’est ce qu’envisage Ayrault ? Je prends le pari que rien ne sera fait à moins d’y être contraint, par exemple, en ne pouvant plus payer les salaires de nos fonctionnaires.
Pas mal à l’heure où la plupart des gens ont du mal à lire plus d’un paragraphe sur une page web (ou un email)
je l’écoute, il a l’air assez sérieux le garçon.