Editeur de site web, une responsabilité qui coute cher !

Je vous informe que j’envisage votre mise en examen. A cette fin, je vous convoque pour procéder à votre première comparution….

Voilà le paragraphe d’introduction de la lettre reçue ce week-end de la part d’un juge d’instruction parisien. La lettre est envoyée à la fois en courrier simple et en recommandé.

En un peu plus d’un an, c’est donc la troisième fois que je vais me rendre devant un juge d’instruction.

C’est encore à Paris. Je devrais donc prendre une journée, financer un aller-retour à Paris pour passer 15 minutes dans le cabinet du juge. Pourquoi Paris ? Car la majorité des sièges sociaux des entreprises (les plaignants) sont en région parisienne et que les délits sur internet se constatent sur son propre écran d’ordinateur.

Comme la convocation me le précise, j’ai la possibilité de me faire assister par un avocat. Là encore, de petites dépenses à prévoir. Environ le prix d’une télévision grand écran (mais de bonne qualité) pour l’assistance pendant la phase d’instruction et autant si je suis renvoyé en correctionnelle.

C’est encore pour une affaire de diffamation, des propos tenus par une tierce personne sur le forum de cBanque.

Pour l’instant, je ne peux m’exprimer en détail sur ces affaires (même si j’en ai hâte pour l’une d’elles). Cet article comporte seulement des réflexions générales.

Le forum, un lieu d’échange … et d’emmerde

Le site cBanque comporte un forum de discussion qui ne représente qu’environ 25% des pages consultées. Ce n’est qu’une petite partie du site.

Ce forum est modéré à postériori, c’est à dire par sondage aléatoire des messages ou lorsque un message est signalé comme étant abusif ou ne respectant pas les règles en place.

Pour moi, la responsabilité des auteurs des messages est pleine et entière (et est rappelée dans les règles du forum). Même si la réglementation impose la désignation d’un directeur de la publication (moi, en l’occurrence) dans les mentions légales du site, celui-ci ne devrait voir sa responsabilité engagée que pour les articles qui ont été contrôlés par ses soins avant diffusion.

On retrouve bien cette position dans la LCEN (Loi pour la confiance dans l’économie numérique) où il est fait la différence entre l’éditeur et l’hébergeur. Ainsi, quand une personne publie elle-même un message sur un site internet, elle en est l’auteur. Le responsable du site, lui, en est l’hébergeur. Il a la responsabilité d’effacer ou de modifier le message en cas de signalement (respectant un certain formalisme) ou de faire publier un droit de réponse.

On retrouve aussi cette distinction entre éditeur et hébergeur dans les lois Hadopi.

Maintenant, je me présente d’ailleurs plus volontiers comme « exploitant de site web » que comme « éditeur de site web », ce dernier terme représentant une fonction et une responsabilité que je n’ai pas à assumer sur l’intégralité du site.

Un choix judiciaire étonnant

Pour ces mêmes propos, j’ai déjà reçu une première réquisition judiciaire par courrier et une autre par téléphone. Il faudrait que je vérifie au bureau, mais, il y a de fortes chances que ce soit la même affaire.

La convocation fait référence à la loi du 29 juillet 1881 (oups !!) plus connue comme la Loi sur la Presse. De là, le directeur de la publication peut être poursuivi comme auteur des propos, l’auteur réel devenant son complice. Il y a seulement la condition du « message incriminé ayant fait l’objet d’une fixation préalable à sa communication au public » qui est à chaque fois oubliée. Une condition quand même importante.

Cette « fixation » est un terme juridique et vous trouverez certainement des explications ailleurs (je ne retrouve plus la page d’un avocat que j’avais consultée). Pour moi, je la comprends comme une validation d’un message avant sa diffusion.

Il y a donc une certaine cohérence entre la loi de 1881, LCEN et HADOPI. Du coup, j’ai du mal à comprendre cette future mise en examen.

Idées reçues sur les procédures

A la première mise en examen, on flippe. Après on prend du recul. On arrive même à comprendre certaines subtilités :

Il y a une prescription de 3 mois pour de la diffamation, les affaires sont donc vite éteintes. Non, j’ai une affaire toujours en cours qui concerne des propos tenus …  en janvier 2008. La prescription redémarre à chaque acte judiciaire, et, une affaire peut donc durer des années.

Une convocation envisage votre mise en examen, on peut donc y échapper ? C’est du moins ce que je croyais. Mon avocat m’a expliqué que ce n’était qu’une formule.

Une mise en examen empêche les réquisitions judiciaires. Après vous avoir mis en examen, un juge d’instruction ne peut plus rien vous demander par réquisition judiciaire, s’il doit vous poser la moindre question il y aura une nouvelle comparution.

Nul n’est sensé ignorer la loi. Mais un juge ne connait pas toutes les lois non plus. Du moins dans toutes leurs subtilités. Le rôle d’un avocat sera de le mettre sur certaines pistes. C’est une chose à laquelle je n’avais pas pensé auparavant.

5 réflexions au sujet de « Editeur de site web, une responsabilité qui coute cher ! »

  1. Toutes tes aventures judiciaires m’incitent à être prudent, au niveau des commentaires publiés sur mes blogs. Ainsi, à la moindre hésitation, je retire a posteriori ou même a priori selon les contraintes techniques du site, les commentaires qui peuvent s’avérer douteux, à savoir non pas illégaux, mais pouvant titiller un éventuel lecteur qui déclencherait une procédure légale, même totalement farfelue et infondée. La liberté de parole est ainsi baffouée. Enfin, ayant un chat sur l’un de mes sites, j’envisage de le retirer, car là, je n’ai plus aucun contrôle quant aux propos tenus en temps réel, indépendamment des coûts que je peux consacrer à sa modération, nécessairement a posteriori

    Une solution technique peut-être : empêcher les robots d’indexation des moteurs de recherche et autres outils de veille automatiques d’accéder aux propos publiés en ligne par des tiers jusqu’à leur prescription légale ?

  2. C’est à se demander quelles sont les motivations ces sociétés derrière ces mises en examen, la volonté de fermer les sites d’échange pouvant les critiquer ?

  3. C’est dingue cette histoire de loi de 1881! Au quel siècle vivons nous? C’est clair que c’est une totale contradiction avec les lois actuelles…

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